Et zut ! marmotta Nikè en se laissant glisser hors du lit. Elle ouvrit les persiennes de sa chambre et la brise matinale y pénétra. Dehors, le ciel légèrement voilé par la brume laissait apparaître les premières lueurs de l'aube. Les gazouillements rythmiques des oiseaux mélangés au cocorico des coqs rendaient ce lever du jour magnifique. Vêtue d'un jogging en coton, elle enfila rapidement son T-shirt et sortit tout en courant de la maison. Arrivée au bord de la voix goudronnée, elle héla un Zemidjan (taxi-moto ) .Comme ce samedi et tous les autres d'ailleurs, Nikè avait l'habitude de se rendre sur la place de l'étoile rouge aux environs de six heures pour patiner avec ses amis. A son arrivée sur la place, son groupe de patinage avait prévu de changer de cadre. Elle jeta un coup d'œil à sa montre et il sonnait six heures dix minutes. Ne pouvaient -ils pas m'attendre ? Nikè décida Alors de patiner toute seule. Furieuse contre elle-même et contre son groupe, elle ne cessait de bouder, quand par mégarde elle faillit se heurter contre une pierre qu'elle évita de justesse. Elle s'arrêta toutes en sueur, s'assit dans le gazon puis entreprit le massage de ses chevilles meurtries par la douleur. De loin, un jeune homme qui avait assisté à la scène s'approcha d'elle .
- Puis-je vous être utile ?
Avec un regard foudroyant, Nikè toisa le jeune homme sans aucune gêne et ne lui répondit point. Résigné, l'inconnu s'éloigna d'un geste lent et souple Il n'était pas si beau, mais il avait quelque chose de particulier qui le rendait séduisant. Peut-être ses yeux qui étaient d'un bleu très clair ou alors sa peau d'une blancheur laiteuse. Il avait du charme et semblait être sûr de lui-même.
Une fois rentrée, Nikè avait le moral dans les talons. Pour assouvir sa peine elle décida de se rendre à l'étoile rouge le soir pour se détendre et se relaxer. Fascinée par le spectacle qu'offrait le défilement continu des amoureux, elle n'avait pas entendu le bruit des pas qui s'approchaient d'elle et sursauta à la vue de la personne .
-Quel beau spectacle ! Ne vous retournez pas; la lune joue avec vos yeux et je vous assure que vous êtes aussi belle que les étoiles du ciel. Cette appréciation fit rougir Nikè jusqu'à la racine de ses cheveux. Mais il ne lui laissa pas l'occasion de s'exprimer.
-Vous imaginez ? c'est quoi votre nom déjà ?
-Nikè..., Nikè Olassan
-Oui, je disais que se fut une sacrée chance pour moi de vous retrouver dans cette même journée. Il se tut puis contempla les fines lèvres de Nikè.Gênée, elle bredouilla une phrase.
- Oh ! On m'appelle Kevin Beauchamps et vous vous êtes la déesse Nikè.
Connaissance faite, ils se lancèrent dans une conversation passionnante qui ferait croire qu'ils étaient des amis de vieilles dates. Ils causaient lorsque retentit le klaxon strident d'une voiture qui venait d'éviter un cycliste provoquant une panique chez Nikè qui se blottit d'un geste brusque contre Kévin qui n'avait pu s'empêcher de pouffer de rire.
Le rire s'estompa sur leurs lèvres quand Kevin effleura des doigts les lèvres sensuelles de Nikè. Il lui caressa le visage et l'attira tout contre son doux corps. Ils s'embrassèrent et sans hâte, ils savourèrent un plaisir qui leur fit perdre la notion du temps. Avec la complicité de la nuit ils mirent fin à ce doux baiser et décidèrent de rentrer. Arrivée au seuil du portail de Nikè ; ils s'embrassèrent à

nouveau puis entreprirent de se revoir pour bâtir leur amour naissant.
Après le départ de Kevin, Nikè entra dans la maison mais fut pétrir de peur lorsqu'elle lut la colère sur le visage de son père. Sans lui accorder l'occasion de le saluer, il vociféra.
-Hé ! Que fabriques-tu au juste avec ce garçon ? Tu oses même embrasser un dégonflé sur notre portail. Et qui encore ! Un fils de blanc, un fils à papa, un incirconcis. Tu ferais mieux d'oublier ces genres de fréquentations; petite prétentieuse. Et d'ailleurs va dans ta chambre et tu n'en sortiras qu'à nouvel ordre.

Nikè lui jeta un regard furibond puis s'exécuta. L'atmosphère devenait de plus en plus oppressante au fur et à mesure que les jours se succédèrent. Elle était punie. Son argent de poche lui était suspendu de même que ses sorties. Pour l'éloigner de Kevin , son père avait décidé de l'envoyer à Savè aider sa tante à vendre du bois de chauffage.
Six mois passèrent sans aucune

nouvelle de Kevin.
Nikè s'assombrit dans un désarroi total . Plus les jours passèrent plus son amour grandissait et grande était sa souffrance .Tout son être soupirait après lui comme une terre desséchée et la vie n'était pour elle qu'un enfer . Assise sur une pierre devant sa case elle se mit à soliloquer .
-Kevin où es - tu ? Pourquoi mon père interdit t-il toute relation avec toi . Je t'aime tant et l'idée de vivre sans toi ne me traverse guère l'esprit , d'ailleurs je ne peux vivre sans toi .
L'idée d'envisager son avenir sans lui la crucifiait . Alors elle se leva subitement puis entra dans sa chambre .
Dix minutes plus tard …
Comme à l'accoutumé , tante Mondukpè lui apportait de la bouillie de sorgho dans sa case . A son entrée elle fut surprise de la voir couchée . Après quelques appels qui moururent dans le néant, elle coimmença par appeler au secours et hommes, femmes et enfants accoururent vers la case. Nikè fut transportée chez Olou le grand féticheur. Ce dernier prépara une tisane qu'il lui fit ingurgiter. Après cela , il lui passa une pommade sur le front puis prononça quelques paroles incompréhensibles par le commun des humains. Elle fut ramenée dans sa case précédée de Olou qui jeta quelques noix de cola sur la véranda .
Nikè était étendue sur le sol , elle transpirait abondemment et Olou lui versait de l'huile sur le corps . Elle revenait peu à peu à elle quand sa mère fit irruption dans la case. Elle se déchaussa puis s'agenouilla devant Olou qui la rassura aussitôt. Sa mère s'approcha d'elle puis se mit à sangloter .
-Mon enfant qu'est -ce que tu as ? Est-tu malade ?
-Maman , ma maladie à un nom. J'aime Kevin et je ne puis vivre sans lui
-C'est pour cela que …. ? Nikè comment as- tu osé nous faire cela ? Tu n'as même pas pensé à moi ; oublies -tu que tu es notre unique enfant ?
-On ne le dirait pas maman ; répondit Nikè.
Alors son père entra tout inquiet
-" Comment va -t- elle ? "
- " J'irai mieux si je voyait ... Kevin, papa " dit-elle d'un ton suppliant
- Ma fille , je ne reviendrai pas sur ma décision.
-Mais papa , pourquoi veux tu m'empêcher d'être heureuse , d'aimer celui que mon cœur a choisi ? Pourquoi papa ? t'as t-on empêché d'aimer maman?
-Ce n'est pas la même chose.
-"Ce n'est pas la même chose" s'écria Nikè qui, après un soupir ajouta " Oh ! Sûrement parce que la couleur de sa peau est différente de la nôtre !"
-Tais-toi ! Petite insolente. Tu es ma seule enfant et …
-"Et rien" intervint la tante. "laisse la aimer qui elle veut. C'est bien son bonheur que tu cherche non … ?"
-Alors laisse la être heureuse avec qui elle veut mais par contre elle aura besoin de tes conseils pour affronter les péripéties de la vie. Tu devrais être comblé ; combien de gens rêvent pour leurs filles d'épouser un blanc dans notre village. Elle est ton unique enfant mais c'est le destin et on y peut rien.
La tante se retira avec le père de Nikè puis ils allèrent dans la case d'Olou.
La nuit était d'une beauté envoûtante. L'air fleurait bon et les éclats de rires fusèrent dans le salon des Beauchamps. Les deux familles étaient réunies. Nikè et Kévin s'éloignèrent discrètement puis se réfugièrent dans le jardin.
- Nikè tu m'as beaucoup manqué. Et je crois que si ton père n'avait pas…
-Chut ! lèves tes yeux, regardes le ciel. Vois-tu les deux étoiles qui sont ensemble là ? Je crois que ce sont nos étoiles.
Les deux familles étaient réunies.
Nikè et Kevin s'éloignèrent discrètement pour se réfugier dans le jardin.
- Elles se sont rencontrées, nos deux étoiles, depuis très longtemps et rien, ni personne ne pourra les séparer.
kevin s 'approcha d'elle, puis porta sa paume à ses lèvres et chuchota : " J'ai follement envie de t'embrasser…"
Moralité de cette histoire
L'amour est universel, ni la couleur de la peau, ni une quelconque volonté parentale ne peut constituer une entrave à l'amour pur et vrai.